La forêt de La Panne, interview Paul Leroux, résidence de création Château Coquelle de Dunkerque.

 

Pouvez-vous me décrire votre démarche artistique ?

Mon travail est étroitement lié à la marche. J'ai ainsi participé à l’exposition "Marcheurs d'images" en 2015 au Château Coquelle. La marche pour moi est aussi une forme d'introspection. Une introspection ouverte, une introspection qui permet toutes les découvertes.

Même si j'ai un espace défini à l’avance, ici la Forêt de La Panne, je ne m'interdis pas dans ce travail de prise de vues, la découverte d'autres territoires ou de micro-territoires. Il ne s'agit pas pour moi d'un travail documentaire. Ce qui m'intéresse dans la photographie, c'est de trouver des détails, des marques, qu'elles soient d'origine humaine ou naturelle. Mes déambulations dans le paysage n’ont pas de but ni de destination. Mon parcours de marche errante traque les traces, les empreintes de l’homme  et de la nature.

L'important pour moi, c'est de retranscrire autant que faire se peut mon ressenti personnel de cette marche de photographe et de détecter la petite chose cachée qui révèle les strates du territoire comme autant de petites histoires du paysage.

J'ai un appareil neutre, une boite noire, avec un objectif fixe. Dans ma prise de vue, il est collé à mon corps. Il n'y a pas de déformation technique de l'image perçue et prise. La captation et le défilement des images correspondent à mon parcours dans le paysage.

Mon image est un morceau du paysage dans lequel je déambule. Je viens et je reviens dans les mêmes lieux, comme pour découvrir un nouveau paysage, dans des temps et des lumières différentes. Il y a dans mon travail une forme d'unicité de protocole, mais également une diversité infinie des paysages. C'est ce dialogue entre un protocole unique et une diversité infinie de paysages qui m'intéresse.

Dans cette hétérogénéité, je photographie, les paysages, la forêt et les arbres comme des éléments vivants. Je cherche de l'imperfection, de l'irrégularité et de fait de la beauté indisciplinée. Les détails apportent de la perturbation dans l'image.

La question du paysage et de la forêt est récurrente dans mon travail (Sophie DEBALLE a déjà mené des travaux photographiques, dans les forêts d'Argonne, de Coutances, de Mormal et de Stavanger en Norvège). Une forêt offre des visages toujours changeants et parle de sa propre histoire dans son humus historique. C'est de toute cette épaisseur que j'essaie de parler dans mes images.

 

Paul LEROUX :

Le projet "La forêt de La Panne" s'inscrit logiquement dans la suite de votre démarche photographique, néanmoins, quelles en sont les singularités ?

 

Sophie DEBALLE :

Ce qui m'a surpris, c'est la variété, la richesse du paysage sur une dimension de territoire somme toute bien plus restreinte que mes expériences d'images passées à Argonne, Coutances ou Mormal, et en comparaison de bien d'autres espaces forestiers.

Cette forêt, presque sans s'en apercevoir glisse d'un paysage arboré vers un paysage dunaire, comme dans une sorte de no man's land, un espace sableux mouvant mais stabilisé par la présence d'arbres. Ce paysage glisse vers des espaces déserts et ouverts sur le maritime. C'est étonnant. On peut s'enfoncer, se perdre dans des paysages si divers, composés d'essences variées et singulières en fonction des lieux. L'architecture structurante des arbres laisse la place à des arbustes désordonnés, à des pièces d'eau, à de l'endémique,...

Si la mer n’est pas présente dans mes images, on la perçoit néanmoins dans la forêt, dans la terre sableuse notamment. C'est une perception rare dans une telle variété d'essences.

De plus, cette diversité est aussi fort marquée au fil des saisons, des lumières et des temporalités de la prise de vue.

 

Paul LEROUX :

Quelles sont les références de votre démarche artistique ?

 

Sophie DEBALLE :

Mes références sont multiples.

Il y a les photographes de paysage américain, comme Ansel ADAMS ou Lee FRIEDLANDER pour son travail sur les détails dans le paysage.

Plus récemment, il y a Gilbert FASTENAEKEN, pour sa capture unique des détails ; ou encore dans une construction complètement à l'opposé, Michael KENNA avec ses épures de paysages.

           

Paul LEROUX :

Votre image photographique est très construite dans sa composition, dans sa dimension plastique, j'y vois une recherche picturale. Qu'en pensez-vous?

 

Sophie DEBALLE :

Il y a du pictural bien sûr. Mais ce n'est pas un lien direct. C'est pour moi de l'image inconsciente. Un inconscient structurant, en filigrane.

Je me référence en cela aux photographes de Barbizon, dont le travail était fort lié à la littérature et à la peinture.

La peinture est une nourriture qui fait partie de la construction de l'image, notamment dans les couleurs et les lumières désolées de Caspar David FRIEDRICH. Il y a une façon de traduire des lumières irréelles que je cherche à retrouver, que la couleur permet d'approcher.

J'aime la façon dont d'Egon SCHIELE retranscrit le paysage notamment les arbres dans leur structure hivernale et déconstruite de l'image.

 

Paul LEROUX :

L'usage du format carré est singulier, pouvez-vous expliquer ce choix ?

 

Sophie DEBALLE :

Pour moi, c'est important, car il permet de capter un morceau du réel sans la composition attendue d'un format paysage ou portrait.

C'est un format particulier car pas naturel, mais pour moi logique, car c'est la boite noire, sans la recherche d'harmonie que d'autres formats proposent.

Le paysage étroitement lié à la marche s’éprouve corporellement. L’appareil photo est comme une prolongation physique de mon corps dans le paysage. Dans ce processus technique, c'est à moi d'avancer, de reculer, de me positionner pour capter ce qui s’offre à mon regard.

Pour continuer sur la dimension technique, la visée offre une perception indirecte qui opère un déplacement du regard et une mise à distance du réel. Le dispositif technique est comme un filtre avant mon regard.

Ce type d'appareil est transportable et donc très lié à la pratique de la marche et du défilement de la pellicule envisagé comme un parcours. Pour moi, il y a aussi l'importance du rapport au temps qui se démultiplie, du temps de l'attente : attente du développement, de la planche contact,  du tirage. À chaque étape, il s’agit d’une expérience renouvelée, d’une nouvelle découverte.

 

Paul LEROUX :

Et qu'en est-il du choix de la couleur ?

 

Sophie DEBALLE :

Au début je photographiais en noir et blanc. J'ai découvert la couleur, lors d'une résidence de création en Norvège. Curieusement la lumière diffuse, les gammes de gris, les couleurs atonales de l'hiver en Norvège pouvaient se concevoir comme de l'image en noir et blanc.

J'ai gardé l'envie dès lors de traduire la couleur comme on traite le noir et blanc.

Parfois, la couleur structure une composition en majorité monochrome, là encore, comme un accident, une imperfection, une tâche. Cela construit une sorte de dualité, dans une seule et même image.

 

Paul LEROUX :

Quel est l'avenir de votre démarche artistique ?

 

Sophie DEBALLE :

C'est une question fort compliquée. Je n'anticipe pas mes images. Les images m'étonnent, me surprennent. Je voudrais que cela continu.

Tout cela n'est pas qu'une histoire de paysage, c'est plus une surprise de l'image. Par nature, je travail sur un territoire, qui se nourrit de bien d'autres territoires, mêmes humains ...